Je reviens vers vous pour vous partager ma critique de l’anthologie Le Monde de la Nuit, parue chez les éditions Sombres rets.
Pour commencer, il serait inconvenant de ne pas dire un mot sur la couverture signée Elie Darco. Quelle beauté ! Des quatre anthologies parues chez Sombres Rets, l’illustration du Monde de la nuit est celle que je préfère.
L’anthologie se divise en quatre parties : Ce qui naît de la nuit, les secrets de la nuit, nuit sortilège et nuit sans fin.
Première partie : Ce qui naît de la nuit
Heureux les imbéciles par Éva Simonin
Deux gredins aussi stupides que cupides enlèvent un enfant qui selon la rumeur aurait le don de voir les esprits. Le vocabulaire qui s’apparente à une gouaille de paysan ne peut que ravir le lecteur. « Tinter les esgourdes », « un coup de mistoufle » « ousqu’on t’amène, t’auras bombance comme si c’était Noël tous les jours » et autres délicieuses expressions ont enchanté ma lecture.
L’éveil à la nuit par Sylvain Boïdo
Nous suivons, ici, les déboires sentimentaux et sexuels d’une lycéenne mal dans sa peau. Heureusement (ou malheureusement ?) pour elle, le délégué de classe va apporter un peu de piment dans sa vie. Les amateurs de bit lit devraient se délecter de ce récit. Pour ma part, je ne suis pas un grand amateur du genre cependant j’ai apprécié la lecture de cette nouvelle. Il faut dire que la chute est grandiose !
Une gare, c’est propre la nuit par Antoine Lencou
L’auteur place l’action dans une gare futuriste et nous offre des tranches de vie de personnages très différents : un SDF, un jeune couple, un trafiquant criblé de dettes, un agent d’entretien… Le bâtiment ferroviaire d’un nouveau genre accueille une exposition d’œuvre d’art qui ne laisse pas le lecteur indifférent. In fine, le récit est maîtrisé et les multiples saynètes nous tiennent en haleine.
Marlène par Michaël Moslonka
Michaël Moslonka peut écrire aussi bien avec de l’acide sulfurique (comme dans La mélodie du malheur) ou avec du miel (comme dans Roman d’amour). Qu’allait-il nous concocter avec Marlène ? Encore une fois, j’ai été surpris, notamment par la chute de l’histoire. Je vous recommande cette très belle nouvelle empreinte d’un romantisme sombre et moderne.
Le Dullahan par Nicolas Saintier
Ailill Asling ne croit pas aux vieilles légendes. Aillil Asling est un cartésien. Peu lui fait de traverser l’ancienne forêt en période de Samain (selon la mythologie celtique, durant cette semaine, le Monde des morts est censé rejoindre celui des vivants). Son imprudence lui coûtera cher car de nombreuses créatures peuplent ces terres boisées. Chaque apparition fait écho à une légende. La symbolique est riche et devrait ravir le lecteur averti en mythologie celtique.
Deuxième partie : Les secrets de la nuit
Meccano de nuit par Christophe Mignon
Un polar captivant ! Beaucoup de suspense et une pointe de fantastique : la recette parfaite !
Amy, né de l’homme et de la femme par Yves-Daniel Crouzet
« Le docteur Carau m’a donné une feuille blanche, ce matin, et il m’a demandé d’écrire ce qu’évoquaient pour moi la nuit et les ténèbres. » Cette première ligne m’a fait sourire. Le docteur en question porte le même patronyme que le directeur de l’anthologie, lui aussi écrivain : notre cher Cyril Carau. Dans Amy, né de l’homme et de la femme, Yves-Daniel Crouzet nous livre en premier lieu une réflexion profonde sur la vertu thérapeutique de l’écriture. Puis, en second lieu, l’auteur nous fait découvrir la personnalité hors du commun d’un enfant albinos qui a été enfermé dans une cave et dressé comme un animal par ses parents amateurs de sciences occultes. J’ai beaucoup apprécié la relation qui se noue entre le docteur et l’enfant ainsi que la réflexion sur le bien et le mal. J’espère pouvoir retrouver ses personnages dans d’autres histoires d’Yves-Daniel Crouzet ! Selon moi, ces protagonistes ont un potentiel romanesque.
Transport Nocturne par David Baquaise
L’histoire m’a ramené aux interrogations que j’ai développées dans Le Piano Aphone : la conduite de l’âme des défunts hors du monde terrestre. C’est amusant de découvrir ce thème traité par un autre auteur, surtout lorsque celui-ci a une sensibilité très éloignée de la vôtre. En l’espèce, David Baquaise met en scène un chauffeur de bus à la personnalité affirmée. Un mystérieux passager va lors retenir l’attention du lecteur. Avec une version très moderne de l’ascension que je vous laisse découvrir, David Baquaise renvoie définitivement Charon, le nocher des Enfers, à la retraite !
Gardien de nuit par Richard Mesplède
Cette nouvelle est un véritable coup de cœur ! Quel vocabulaire ! Un florilège d’expressions drôles et percutantes. Les descriptions sont un délice. On s’interroge rapidement sur les monstres que le gardien de nuit méprise et redoute. L’auteur égraine si habilement des indices au fil des pages, que l’on ne peut s’empêcher de continuer la lecture pour savoir si notre intuition est la bonne. J’ai dévoré cette nouvelle. Quelle force dans les images, quel style et quelle chute ! Une GRANDE nouvelle.
La chaise par C. D. Inbadreams
Voilà un nom de plume qui interpelle. La chaise est une nouvelle aussi courte qu’efficace. Un style aiguisé et une intrigue bien menée. En l’espèce, le héros, étudiant le jour, barman une partie de la nuit, est le témoin de saynètes alcoolisées, drôles et/ou romantiques. Les divers personnages bien que croqués en quelques lignes prennent aisément forme dans l’esprit du lecteur. L’un d’eux, un client habitué du troquet ne devrait pas vous laisser indifférent, surtout lorsqu’est révélé le contenu de sa mystérieuse valise. La chute est délicieuse.
Des profondeurs par Aurélie Wellenstein
Un petit garçon se réveille dénué de tout souvenir sur les toits d’une ville fantôme où l’on ne voit jamais le sol. Les souvenirs refont surface peu à peu. Mais le temps presse car une ombre menaçante plane en direction du garçon.
Aurélie Wellenstein, c’est un style : une plume élégante, un rythme parfait, un vocabulaire riche mais jamais étouffant. Aurélie Wellenstein c’est aussi une sensibilité et une imagination débordante. Ces nouvelles m’évoquent tellement de choses… Il y a des bonnes idées à chaque page… In fine, je ne peux que vous conseiller de lire cette nouvelle et tout ce qu’écrit cette écrivaine. C’est un (jeune) talent à suivre et qui a beaucoup à apporter à la littérature.
Troisième partie : Nuit sortilège
Marie dans la nuit par Valérie Simon
Marie attend Mathéo. Les amants se sont donné rendez-vous à l’abri des regards dans un bois qu’ils connaissent bien. Mais Mathéo ne viendra pas. Il ne pourra pas. Il y a quelqu’un d’autre dans ce bois qui a jeté son dévolu sur l’homme de Marie et qui est venu à sa rencontre. Quelqu’un ou quelque chose… J’affectionne particulièrement le style poétique de cette nouvelle. Voilà une personne qui sait écrire. Un auteur à suivre !
Le chêne par Emmanuelle D’Arzon
J’ai beaucoup aimé cette nouvelle. L’auteure met en scène un infirmier qui travaille la nuit dans un hôpital. Je pense pouvoir préciser qu’il s’agit d’un hôpital psychiatrique même si l’auteur n’utilise pas ce terme. Les relations que tisse l’infirmier avec les patients qui peinent à trouver le sommeil sont empreintes d’humanité. On s’attache rapidement à une malade en particulier : Lou. L’intrigue se met en place assez tôt assez tôt dans l’histoire et gagne en ampleur et saveur au fur et à mesure que les pages se tournent. On comprend le titre uniquement à la fin de la nouvelle. In a nutshell : good job !
La comptine celte par Emma Fraust
Une nouvelle fantastique très bien construite. L’auteure s’amuse à nous perdre entre le rêve et la réalité. Puis, par un écho, tout devient clair…
Celles qui ont renié le jour par Louise Roullier
La fille d’un puissant seigneur se rend à l’assemblée secrète des sorcières et les supplie de l’accepter dans leur cercle. Elle est prête à tous les sacrifices pour accomplir sa vengeance. Le texte est très bien écrit, Louise Roullier n’a pas eu le PJE pour rien !
De rêve et de feu par Marie Loresco
Un style incisif ! Beaucoup de traits d’humour ponctuent l’aventure. La construction narrative donne du rythme, de la percussion au récit. En effet, l’auteur fait intervenir deux narrateurs dotés de sensibilités très différentes. Ces changements de narrateur parfaitement maîtrisé permettent d’alterner les points de vue sur une même notion, action, chose… Un procédé qui me rappelle celui qu’emploie avec maestria Virginie Despentes dans Apocalypse Bébé.
Les doigts des morts par Olivier Boile
Une petite nouvelle bien menée ayant pour thème le respect dû aux morts. Le style de l’auteur est sobre mais efficace.
Quatrième partie : Nuit sans fin
Au fond par H. M. Elfenn
Un journaliste, ou plutôt quelqu’un se présentant comme tel, a été envoyé en mission dans un sous-marin surnommé le Fossoyeur. Pourquoi un tel sobriquet ? Tout simplement parce que le submersible explore l’obscurité des fosses océaniques. Malheureusement pour notre protagoniste, « Le Fossoyeur a creusé trop profond et a réveillé la mort. » Alors que le sous-marin longeait les fosses, celui-ci a été attaqué par une créature abyssale. Le journaliste s’est retrouvé seul à bord d’un module d’exploration trop endommagé pour rejoindre la surface, il est donc condamné à errer dans les grands fonds… Les notions de solitude et de survie sont traitées avec beaucoup de profondeur. Il y a aussi ce thème de lutte de l’homme contre l’animal sauvage qui me rappelle Hemingway. Le journaliste va également éprouver le besoin d’écrire un journal de bord pour ne pas devenir fou. Ce rapport à l’écriture m’a fait beaucoup réfléchir ! Enfin, la chute est très bien amenée ! Je me suis laissé surprendre. Je tire donc mon chapeau à cette jeune auteure !
Nocturnes du sableur par Thomas Spok
Le scénario très original de ce texte m’a séduit. En l’espèce, un immortel désœuvré est hanté par ses souvenirs. Il doit s’en débarrasser coûte que coûte. Pour ce faire, il les fait ingérer sous forme de grains de sable à des anonymes dans des boîtes de nuit. J’ai été vraiment intrigué par cette histoire singulière, dommage qu’elle soit si brève ! Un personnage si profond mériterait une novella !
Les funérailles du jour par Pascaline Nolot
Ce texte traite d’un sujet grave : la maladie des enfants de la Lune, une maladie orpheline obligeant les patients à vivre à l’abri de la lumière naturelle. Il est assez poignant de découvrir cette mère qui se plie à un véritable sacerdoce pour que son fils ait une vie se rapprochant de la normalité. Cette nouvelle enrichit considérablement l’anthologie malgré sa brièveté. On ne peut qu’être touché au plus profond de soi !
Voyage au bout de la nuit par Élodie Zouin
Une nouvelle qui change de la bit lit habituelle ! Les deux protagonistes sont, en effet, des vampires assez atypiques ! Le premier est un routier quinquagénaire et la seconde une malade de la leucémie. J’ai beaucoup apprécié l’utilisation de ces antihéros. Le titre de la nouvelle m’a interrogé, faut-il y voir un clin d’œil à Louis-Ferdinand Céline ?
La nuit de claires ténèbres par Bruno Grange
J’ai véritablement dévoré cette nouvelle ! Les descriptions sont tout simplement magnifiques et l’intrigue est telle que l’on ne peut interrompre la lecture. En bref, de la SF inspirée et maîtrisée !
Nocturnales par Magali Lefebvre
L’originalité de la construction narrative doit être soulignée. La nouvelle est divisée en parties ou plutôt en portraits. Chacun a pour titre le nom d’une divinité grecque qui cristallise l’esprit du texte. En effet, l’auteur développe des petites histoires dans lesquelles un personnage livre ce que représente la nuit pour lui. In fine, le récit est maîtrisé et le lecteur se laisse porter !
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